Deux professeurs, Marian (Joyce
Howard) et son amie canadienne Doris (Tucker McGuire) passent leurs
vacances dans le Yorkshire, là où leur collègue et amie Evelyn avait disparu un
an auparavant. Marian pense pouvoir élucider le mystère de cette disparition.
Elles sont surprises par la tempête et trouvent refuge dans une maison isolée
où vit Stephen Deremid (James Mason), un compositeur misanthrope. Il
n'accepte que la compagnie de sa gouvernante Mrs. Ranger (Mary Clare) et
de son homme à tout faire Jim Sturrock (Wilfrid Lawson). La météo
défavorable prolonge le séjour des deux jeunes femmes, à la fureur de Stephen.
Marian trouve dans la maison un médaillon ayant appartenu à Evelyn... Elle
s'attache à Stephen, qui la repousse et lui explique qu'à la suite d'un
traumatisme violent subit durant la guerre d'Espagne où il s'était engagé, il a
des passages à vide, et est saisi d'un instinct meurtrier, ce qui explique son
mode de vie. Malgré ces révélations, Marian s'incruste chez lui et est bien
décidée à lui redonner goût à la vie, dédaignant l'intérêt que lui porte le
médecin local (John Fernald).
Cette série B filmée sans trop
de moyens lorgne sans vergogne du côté de la littérature gothique anglaise, qui
inspirera les films mélodramatiques sortis par Gainsborough, avec plus de
bonheur. Le cinéaste Leslie Arliss, auteur de ce film étrangement divertissant
(son second film), fit employé par la suite par ce studio où il réalisa le
délirant The Wicked Lady... Malgré un manque de moyens évidents, le film
n'en propose pas moins une atmosphère prenante et malsaine (les scènes sur la
lande où les sables mouvants abondent, en témoignent), grâce aux images de
Krampf, qui masque habilement des décors un peu pauvres par un jeu d'ombres
mouvantes d'un effet très réussi. Si le film fut renommé Terror House
aux Etats-Unis, c 'est bien pour quelque chose !
Si le bizarre, le macabre, le
morbide, l'étrange sont partie intégrante d'une mouvance du cinéma anglais, cet
aspect fut exacerbé par la guerre et le besoin de divertissement que ressentait
alors le public. Mais ces éléments furent adaptés aux épreuves du public
d'alors, qui cherchait souvent une évasion hors d'une réalité quotidienne
difficile. Le film fait donc le grand écart entre deux modes : un réalisme qui
se raccroche à une vision peu mise en avant (le traumatisme des combattants) et
une romance tordue, selon les canons du genre, mâtinée d'intrigue
policière.
De fait, le canevas classique
qui montre un héros byronien en prise avec une société injuste et étouffante
est toiletté. « Mr. Rochester » (car on est bien dans une variation
de Wuthering Height et de Jane Eyre) est réactualisé en une
figure de musicien devenu stérile artistiquement, car soldat volontaire
démobilisé à la suite d'un état de choc psychologique intense. Les conséquences
intellectuelles de cet engagement aux côté des républicains espagnols sont
pourtant atténuées dans le scénario, et les sous-entendus politiques à peine
abordés : si Stephen déclare que « I gave up Music for War. I had an
idiotic notion that civilisation was worth fighting for, that nothing that
really mattered, could exist under slavery », ces propos (qui
pourraient se prêter à une propagande militariste) restent négatifs malgré
l'idéalisme supposé, et c'est surtout la vanité de cet engagement qui est mise
en avant. (Une attitude qui devait faire écho aux convictions privées de James
Mason, objecteur de conscience durant la guerre de 39-45...) Cette occultation
n'est guère étonnante quand on sait que la censure britannique interdisait
toute allusion à ce conflit.
Comme il aurait été désastreux
pour le moral national d'héroïser un grand blessé névrosé par la guerre menée
par le pays, on peut sans doute expliquer par cette raison ce déplacement
géographique de conflit armé, qui avait l'intérêt de susciter l'empathie du
public, sans trop appuyer sur les conséquences dramatiques du conflit alors en
cours... Stephen est donc un blessé de guerre d'une aventure « exotique »,
bien loin des préoccupations immédiates des Anglais. Le personnage, malgré sa
rudesse sadique; est parfaitement agencé pour susciter une empathie
« maternante » pour les spectatrices. Et, par la même occasion,
perpétuer les personnages mi-héros mi-tortionnaires si chers à l'imaginaire du
XIXe siècle romantique, et que Mason sera contrait d'incarner durant toute la
fin de sa carrière anglaise (The Man in Grey, Fanny by Gazlight, They
Were Sisters, The Seventh Veil)
Il est clair que cette manœuvre
scénaristique, qui affadit les possibilités ouvertes par la narration (pour les
clore aussitôt) est calibrée pour un public essentiellement féminin. La fable a
également une volonté moralisatrice. Les deux modèles féminins présentés
déploient ouvertement une morale de guerre : Doris, pas tout à fait
réellement anglaise car canadienne, extravertie et sexuée, représente un aspect
repoussoir ; Marian, dévouée, effacée, masochiste même, porte sur ses
épaules la possible reconstruction du héros, et sa force de guérison en fait l'archétype
de l'idéal de la femme (com)battante qui sait néanmoins rester à sa place.
Cependant, l'humour n'est pas absent de ces archétypes : la franchise
brutale de Doris apporte un souffle d'air frais bienvenu dans les élans
mélodramatiques de Marian.
Deux échanges significatifs
éclaire les tensions du couple et forment le pivot du film :
Marian : « I've met men
whose characters I've liked, whose brains I admired, but who meant nothing to
me... I've met others, brainless and brutal, you know... »
Stephen (ironiquement) : « Yes,
I know, the queer fascination with cruelty ».
(Cette explication synthétique,
parfaitement bien comprise par les producteurs, cantonna Mason dans une
typologie de rôles qu'il avait en horreur. Pour en sortir, il publia même dans
un magazine un article, « Why I beat my wife »... qui fut
perçu au premier degré!)
A Marian qui lui explique
qu'elle souhaite rester près de lui afin de lui redonner goût en la vie,
Stephen réplique : « You're getting no unctuous glow of saving me. You
fool, you think I'd turn my back on real women, lovely women, to change it all
for a sentimental little school-marm ? What have you got ? No beauty, no
brains. Just a lot of half-digested
ideas about life picked up in a teacher's common room. » (Habillée pour
l'hiver, je vous dis...)
James Mason, dans un
de ses premiers rôles, tire avec maestria son épingle du jeu, en s'inscrivant
dans la grande tradition des héros romantique, sombres et taciturnes. (Quel Mr.
Darcy il dut être sur scène... Et on peut déplorer que le Jane Eyre prévu
avec lui ne se fit pas.) Son numéro d'équilibriste entre l'introspection, la
dépression, la violence défensive et la tendresse cachée sont une des forces du
film. Dans un scénario tiré par les cheveux, il parvient à n'être jamais ridicule
ni exagéré. Ce sont les nuances de son jeu, et la force de sa présence qui
unifient des éléments narratifs assez disparates. La dimension artistique du
personnage est hélas laissée la plupart du temps de côté, hors une assez jolie
scène durant laquelle il se met au piano . Pour un compositeur
« contemporain », il semble préférer les classiques... Notons que la
pièce de Chopin qu'il exécute devant Joyce Howard est celle que jouera Pandora,
quand Hendrick van der Zee l'écoute en contrebas, dans une belle (future) inversion
involontaire.
Joyce Howard est
parfaite dans son rôle de petite souris grise un peu ingrate, qui apprend une
certaine autonomie et l'indépendance d'esprit, dans de certaines limites. Si
son rôle se cantonne beaucoup dans celui de «demoiselle en péril », elle
n'en montre pas moins une palette de jeu intéressante. Durant son assez courte
carrière, elle se borna souvent à incarner une sorte d'Anglaise typique,
fraiche et naïve, enthousiaste et terre à terre.
Un clin d'oeil amusant souligne
le côté pourtant caricatural du personnage : après être tombée dans un
abreuvoir rempli d'eau (au grand amusement de Stephen), Marian change de
vêtements et revêt une robe pseudo XVIIIe siècle (qui aurait appartenu à l'une
des ancêtres de Stephen !!! Super efficace, l'anti-mite local.). Cette
« glamourisation » du personnage, qui jusque là était une parfaite
petite institutrice un peu falote, a un impact immédiat sur son hôte. Le public
féminin peut ainsi trouver une autre identification fantasmatique : celui de
l'image rêvée de l'aristocrate aux jolies robes, avec ce rêve de Cendrillon
réalisé... Alors que The Lamp Still Burns (1943) -auquel participe Joyce
Howard- mettra en valeur l’héroïsme quotidien de la population féminine
anglaise et ses transformations psychosociales, The Night Has Eyes
demeure fermement ancré dans ses archaïsmes littéraires.
La résolution de l'intrigue est
relativement faible, même si les scènes finales sur la lande de manquent pas
d'impact visuel. Il ne s'agissait que de la conspiration des deux serviteurs
(ils se sont en fait ligués pour convaincre Stephen qu'il est toujours
psychotique en le droguant si besoin, afin de conserver leur emploi où ils sont
grassement payés). Les deux personnages sont admirablement campés par un Wilfrid
Lawson malsain, qui promène sa bobine inquiétante (et sa guenon
apprivoisée) tout le long du film sans se raccrocher réellement au scénario, et
une gouvernante inquiétante dans sa fausse amabilité (dans la grande lignée des
gouvernantes anglaises popularisées par Mrs. Danvers) dont Mary Clare (généralement
connue pour sa participation à The Lady vanishes) libère le venin
par à-coups. Ces deux figures sinistres apportent un plaisir jubilatoire à
cette galerie d'archétypes improbables.
Malgré son erreur à vouloir
compacter trois films en un, si ce mélange de maison mystérieuse avec pièces
secrètes, cas psychiatriques en pagaille, amour impossible, dégoulinade de
brume, héros ténébreux, tempête, squelettes dans les placards et saupoudrage
d'intrigue policière ne vous fait pas passer un bon moment, c'est à désespérer
!
Dirigé par Leslie Arliss
Scénario de Leslie Arliss.
Image de Gunther Krampf.
Produit par John Argyle.
Musique de Charles Williams.
Durée : 1h 19
On trouve parfois des VHS (NTSC) Good Times ou DVD
Rare Nightmare en vente sur Amazon. Attention, la qualité de la copie est loin
d'être excellente.